
La stratégie russe : une guerre d’usure
Malgré les provocations avec des drones à l’intérieur des frontières européennes, il est peu probable que la stratégie russe actuelle — aussi audacieuse et agressive soit-elle — vise réellement à déclencher un conflit total, qui deviendrait rapidement insoutenable d’un point de vue militaire, économique et social. Il en résulte un équilibre instable et complexe, sans solution immédiate.
En somme, tout porte à croire que l’on assistera à « une guerre d’usure prolongée, qui ne pourra être résolue que lorsque les conditions économiques et sociales deviendront insoutenables pour l’une des deux parties ».
Les indicateurs économiques sous la loupe
Et ici, en supposant que l’Ukraine tient debout grâce à l’Europe, c’est la situation russe qui doit être prise en considération. Tout d’abord, les prix intérieurs : bien que la Banque centrale russe (CBR) maintienne un objectif d’inflation de 4 %, l’inflation réelle (basique et globale) s’établit à 8 %. En résumé, elle est au moins deux fois plus élevée, même si elle est en baisse par rapport aux pics de 20 % enregistrés en mars 2022.
En ce qui concerne les recettes, la Russie a partiellement remplacé son client européen par la Chine, dont les importations d’hydrocarbures et de dérivés russes ont quadruplé depuis mars 2020.
Le budget fédéral 2025 alloue environ 170 milliards d’euros aux dépenses militaires, dont environ 70 milliards (soit un déficit de 2,9 % du PIB) sont couverts par de la nouvelle dette, des prélèvements sur le Fonds souverain national et des taxes sur les revenus du pétrole et du gaz.
Cependant, ce n’est certainement pas la dette qui préoccupe Poutine : selon le FMI, elle s’élèvera à 550 milliards de dollars à la fin de 2025, soit à peine 22 % du PIB, et sera entièrement couverte par les réserves de la BCR, qui ont plus que doublé en dix ans et dont 35 % sont en or non libellé en dollars.
C’est plutôt la croissance du PIB, +2,5 % en 2025, qui est presque entièrement tirée par les dépenses militaires, faisant également baisser le chômage à 2,7 % en raison d’une pénurie de main-d’œuvre qui pourrait également déclencher des pressions inflationnistes.
L’inconnue du pétrole et le risque de récession
La véritable inconnue pour Moscou est le pétrole : plus de 40 % des recettes proviennent des exportations de pétrole et de gaz et pour chaque baisse de 10 dollars du prix du baril, le PIB subit une contraction de plus de 1 %. Il s’ensuit que si le prix du pétrole descendait en dessous de 65 dollars le baril, le déficit russe pourrait s’élargir jusqu’à atteindre des valeurs à deux chiffres .
Un scénario de récession mondiale et de baisse de la demande de pétrole brut mettrait sérieusement à l’épreuve la capacité de Moscou à refinancer ses dépenses militaires. Lors des quatre principaux effondrements du marché pétrolier depuis 2000 — 2008, 2014-2016, 2020 et 2022-2023 — chacun avec des baisses de prix de plus de 50 %, la Russie est entrée dans une profonde récession dans les 6 à 12 mois qui ont suivi, avec des contractions du PIB comprises entre -3 % et -7 %.
Compte tenu de la structure actuelle du budget fédéral et des ressources restantes du Fonds souverain national, les comptes publics cesseraient d’être viables après environ 9 à 12 mois en cas de nouvelle chute des prix du pétrole d’une ampleur similaire.
Compte tenu de ce contexte géopolitique et financier, un succès militaire partiel, accompagné des coûts financiers énormes qu’entraînerait un succès complet, pourrait paradoxalement pousser Moscou, bien que se trouvant dans une position de force relative, à rechercher la fin des hostilités dans son intérêt national. Mais le discours nationaliste ne peut manquer de prévoir une continuité territoriale entre les provinces orientales et la Crimée, pour des raisons militaires et énergétiques. D’où l’impasse. Jusqu’à ce que l’argent vienne à manquer…



