Plus on s’élève et plus dure sera la chute“. Cette métaphore illustre la parabole boursière amère de Novo Nordisk, l’entreprise danoise qui s’était hissée sur le trône des sociétés les plus capitalisées d’Europe il y a seulement un an et qui est revenue en seulement 12 mois à la case départ.

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Ces derniers jours, le titre de la société pharmaceutique de Copenhague, devenue reine des marchés européens grâce au succès fulgurant de ses médicaments contre l’obésité, est revenu à un peu plus de 300 couronnes danoises, alors qu’à la fin du mois de juin 2024, il atteignait son zénith boursier à 1 000 couronnes par action.

Une chute soudaine de 70 % qui a rapidement ramené sur terre les cotations record qui avaient permis à la « petite » société pharmaceutique de dépasser en valeur boursière le géant français du luxe LVMH, qui réalise toujours un chiffre d’affaires deux fois supérieur à celui de Novo Nordisk. Une euphorie boursière qui s’est brusquement refroidie, liée au succès incontestable de deux médicaments phares, l’Ozempic et le Wegovy à base de semaglutide, le principe actif anti-diabète qui s’est avéré agir également sur le poids et qui a connu un succès retentissant, notamment aux États-Unis, comme remède amaigrissant rapide.

Difficile sera la chute

Les ventes ont immédiatement bondi dès 2021, année du lancement du Wegovy, permettant à Novo de doubler son chiffre d’affaires au cours des trois années suivantes, avec des taux de croissance des revenus supérieurs à 25 % par an. Les bénéfices nets ont également doublé, passant de 47 milliards de couronnes danoises à plus de 100 milliards à la fin de 2024, avec une part dans le chiffre d’affaires qui a atteint 35 %.

Cependant, cette année, la course s’est arrêtée. L’entreprise dirigée jusqu’à récemment par Lars Jorgenson, qui a dû démissionner en mai (remplacé par David Ricks) après la première alerte sur les bénéfices, a en effet annoncé deux avertissements sur ses résultats, abaissant ses estimations de chiffre d’affaires et de bénéfices d’exploitation tant en mai que ces derniers jours, au lendemain de la publication de son rapport semestriel jeudi 7.

Alors qu’en février, la direction prévoyait des taux de croissance du chiffre d’affaires pour l’ensemble de l’année compris entre 16 et 24 %, en ligne avec les années précédentes, en mai, une première révision à la baisse à 13-21 % a surpris, et les prévisions ont désormais été ramenées à une fourchette comprise entre 8 et 14 %. Même scénario pour le bénéfice d’exploitation : prévu en février entre 19 et 27 % de croissance, il a d’abord été ramené à 16-24 %, puis il est désormais descendu entre 10 et 16 %.

Evaluée à plus de 50 fois ses bénéfices

Comme on peut le constater, il s’agit d’un changement radical de perspective, en fait une réduction de moitié de la croissance qui a incité le marché à vendre massivement. Ce sont surtout les investisseurs institutionnels qui ont compris que ce ratio cours/bénéfices de plus de 50, atteint au plus haut des cotations, était devenu insoutenable.

Aujourd’hui, l’action est revenue à son niveau de 2021, avant l’introduction sur le marché du Wegovy, qui avait littéralement rendu fou le marché américain, les consommateurs étant pris d’une fièvre de perte de poids rapide sans le cauchemar des régimes épuisants. Les évaluations implicites sont également revenues sur terre, en phase avec une activité qui, après avoir atteint son pic il y a un an, affiche désormais des taux de vente moins explosifs. Le titre, aux prix actuels, se négocie en effet à 12 fois les bénéfices, ce qui est plus ou moins en ligne avec la plupart des géants pharmaceutiques américains et européens.

Le duel avec Eli Lilly

Enfin, il y a l’assaut lancé par le géant américain Eli Lilly contre ce qui était le monopole danois. La société américaine commercialise deux médicaments similaires à ceux de Novo Nordisk, à savoir le Mounjaro et le Zepbound, qui affichent des taux de croissance bien supérieurs à ceux d’Ozempic et de Wegovy. Les deux produits phares d’Eli Lilly se vendent sur le marché américain à un taux de 80 %, contre 11 % pour les médicaments de la société de Copenhague.

Cela était d’ailleurs inévitable. Fort de son expérience en tant que fabricant d’insuline, Novo a créé un marché très lucratif qui s’est étendu du diabète à la nouvelle vague de médicaments contre l’obésité. Un marché trop alléchant pour rester le leader incontesté dans ce secteur.

Eli Lilly n’est pas resté les bras croisés et s’est également lancé dans la course avec le principe actif, le semaglutide, et se partage désormais le marché avec l’ancien pionnier.

Le géant américain, qui a démarré plus tard, suit les traces de Novo. Il affiche le même rythme de croissance, qui se poursuit toutefois après le coup d’arrêt subi par Novo. En 2024, son chiffre d’affaires a atteint 45 milliards de dollars, avec un taux de progression de 32 % par rapport à 2023, qui s’est clôturé à 34 milliards. Après une croissance de 19 % par rapport à 2022. Et les estimations consensuelles, recueillies par S&P Global Market Intelligence, indiquent qu’à la fin de 2025, le chiffre d’affaires devrait dépasser les 60 milliards, avec une nouvelle année de croissance de 33 % pour les revenus des ventes.

Pourquoi, malgré de bons résultats, Eli Lilly s’est-elle effondrée ?

Pourtant, le titre Eli Lilly a chuté de 14 % le jour de la publication des résultats. Tout cela parce que les essais d’un nouveau médicament, Orforglipon, ont donné des résultats moins satisfaisants que prévu en termes de perte de poids. De plus, des abandons ont été enregistrés dans les essais en raison de problèmes de tolérance. Ainsi, le même jour, par un effet de contrepoids, la bourse qui a vendu les actions Eli Lilly a acheté des actions Novo, qui ont augmenté de 6,7 %.

Il s’agit véritablement d’un duel boursier entre les deux leaders et maîtres du marché. À bien y regarder, au-delà des réactions quotidiennes des marchés, Eli Lilly semble avoir pris la place de Novo Nordisk avant le ralentissement en termes de taux de croissance des ventes. Et même en termes de rentabilité, l’entreprise américaine se rapproche de son rival danois, avec des bénéfices nets proches de 30 % du chiffre d’affaires. Les prévisions ont été revues à la hausse, portant la fourchette de chiffre d’affaires pour l’ensemble de l’année 2025 entre 60 et 62 milliards de dollars, le titre ayant plus que doublé de valeur au cours des trois dernières années, même s’il a baissé de 30 % par rapport à ses pics maximaux d’août 2024.

Le risque pour les investisseurs

Compte tenu de la trajectoire de Novo Nordisk, le marché devrait se méfier des courses trop effrénées des titres dont la valeur commerciale est liée à quelques produits phares. Eli Lilly réalise la moitié de son chiffre d’affaires avec seulement deux médicaments contre le surpoids. Et, comme Novo, elle est exposée aux problèmes de concurrence des pharmacies. Moins évidemment aux droits de douane que Trump semble vouloir imposer aux laboratoires pharmaceutiques européens comme Novo, mais elle est néanmoins exposée à la politique de réduction des prix préconisée par le président américain.

Eli Lilly court donc elle aussi le risque réel de reproduire la trajectoire boursière de son concurrent européen. Des revenus et des bénéfices qui explosent en peu de temps grâce au succès d’une seule classe de médicaments.

Des investisseurs qui, poussés par les taux de croissance des comptes, se précipitent sur les titres. Et dès que les premiers signes de ralentissement apparaissent, ils se précipitent pour vendre ces mêmes actions qui ont atteint des multiples de prix qui ne sont plus compatibles avec le ralentissement des ventes. Ce n’est certainement pas l’endroit idéal pour les investisseurs à long terme. Si l’on se trompe, on peut subir des pertes importantes.