
La dernière grande décision
Une décision risquée ? À l’époque, de nombreux journalistes avaient émis l’hypothèse que l’Oracle avait perdu sa touche magique. Mais les faits, avec l’effondrement des marchés suite aux droits de douane imposés par Donald Trump, ont une fois de plus donné raison à l’instinct du plus grand investisseur de l’histoire, qui est resté en retrait dans l’attente d’opportunités qui se présenteront probablement dans un avenir proche.
Mais ce qui a laissé tout le monde bouche bée, c’est autre chose : le retrait de Buffett marque en quelque sorte une rupture entre l’histoire des investissements du siècle dernier et le présent. L’Oracle d’Omaha était, en quelque sorte, le dernier gourou du XXe siècle encore en activité.
Un club de super-gestionnaires visionnaires qui comprend des personnalités telles que Ray Dalio, George Soros, Charlie Munger (le partenaire historique de Buffett décédé il y a deux ans) et d’autres dont les noms apparaîtront plus loin dans cet article : des champions de l’investissement qui ont non seulement fait gagner des montagnes d’argent à leurs investisseurs, mais qui ont également créé de véritables styles d’investissement.
Des approches différentes, parfois même opposées, qui peuvent toutefois être appliquées par tout investisseur individuel, à condition de faire preuve d’une discipline suffisante. Voici les six principaux styles d’investissement et les instruments financiers permettant de les mettre en pratique :
- Style « value » : trouver les titres sous-évalués ;
- Style « growth » : qui peut croître plus que le marché ;
- Style « income » : un revenu constant grâce aux dividendes et aux coupons ;
- Style « indiciel » : les ETF pour répliquer le marché ;
- Style « momentum » : investir sur la crête de la vague ;
- Style « contrarian » : le choix de ceux qui vont à contre-courant.
1. Style « value »
Le style d’investissement qui a fait de Buffett l’un des gestionnaires actifs les plus performants de tous les temps a en réalité un autre père fondateur : Benjamin Graham, auteur en 1949 du best-seller L’investisseur intelligent, qui reste aujourd’hui l’un des manuels de finance personnelle les plus lus au monde. L’idée de Graham était simple : il existe sur le marché boursier de nombreuses entreprises de qualité qui n’ont pas encore révélé leur valeur et peuvent donc être achetées à prix réduit.
Mais les trouver est un travail qui demande méthode et discipline : en étudiant les comptes des sociétés cotées, il faut identifier celles qui ont des fondamentaux solides, un faible endettement, des marges bénéficiaires élevées et des flux de trésorerie robustes.
Dernier point, mais non des moindres : ces entreprises doivent être sous-évaluées. C’est pourquoi, même pour ceux qui n’ont pas les moyens ni les compétences nécessaires pour étudier les bilans un par un, le ratio cours/bénéfice par action (p/e) est généralement considéré comme l’indicateur clé d’une approche axée sur la valeur. Plus cet indicateur est bas, plus il est probable que l’entreprise soit sous-évaluée par rapport à sa valeur intrinsèque : une valeur qui, cela va sans dire, a tout le potentiel pour se réaliser au fil du temps.
2. Style « growth »
L’approche opposée à celle de la valeur est celle de la croissance. Bien que ce soit Cathie Wood qui l’ait fait connaître au grand public ces dernières années avec les ETF actifs de son Ark, ses origines sont lointaines. Le père du style growth est Thomas Rowe Price, fondateur en 1937 de la société de gestion du même nom, toujours active aujourd’hui. À l’instar de l’approche « value », un investisseur « growth » étudie les fondamentaux des entreprises, mais à la recherche d’un autre élément : le potentiel de croissance des revenus et des bénéfices à un taux supérieur à celui du marché.
Parfois considéré à tort comme une approche proche du trading, le style « growth » est en réalité une forme d’investissement à long terme dans laquelle les investisseurs sont prêts à payer les actions à prime (donc à des valorisations élevées) pour bénéficier de la croissance rapide des ventes, des parts de marché et donc des bénéfices des entreprises. Rowe Price a même été un révolutionnaire lorsqu’il a été l’un des premiers, dans les années 1930, à suggérer une approche fondée sur la recherche plutôt que sur la pure spéculation, qui était alors en vogue.
3. Style « income »
Bien qu’il n’ait pas de véritable gourou de référence, l’investissement dans le revenu ou « income » est généralement considéré comme une dérivation de l’approche « value » de Graham et Buffett. La différence fondamentale ne réside pas tant dans le type d’investissement que dans les objectifs : ceux qui investissent dans une approche axée sur le revenu veulent que leurs investissements génèrent un revenu continu plutôt qu’une croissance à long terme du capital.
Ceux qui optent pour le style revenu, généralement avec un horizon à moyen-long terme, devront essentiellement se concentrer sur deux indicateurs : le rendement des dividendes des actions (ou des fonds ETF) et les coupons des obligations. L’objectif d’une telle approche est de faire en sorte que, à intervalles réguliers, par exemple tous les trois ou six mois, les intérêts des instruments financiers soient versés sur le compte courant, pour être ensuite utilisés comme liquidités normales pour les dépenses courantes.
Pour mettre en œuvre une stratégie axée « income », il existe essentiellement trois instruments :
- les actions à dividendes élevés,
- les obligations
- et les ETF à distribution.
Ces sont des instruments dans lesquels les coupons d’actions ou d’obligations ne sont pas réinvestis dans le fonds (on parle alors d’ETF à capitalisation), mais distribués aux investisseurs sous forme de flux de trésorerie.
4. Style « indiciel »
L’approche d’investissement la plus simple, et aussi la plus flexible dans différentes conditions de marché, est l’approche « indiciel » ou « indexée ». En d’autres termes, les ETF passifs. La base théorique de ce style d’investissement remonte généralement au livre A spasso per Wall Street (Promenade sur Wall Street) de l’économiste Burton Malkiel, publié en 1973. Il faudra toutefois attendre deux ans pour que cette approche soit mise en pratique, lorsque le légendaire investisseur John Bogle fonde une société de gestion dont l’objectif déclaré est de rendre les investissements accessibles à tous, tant en termes de coût que de simplicité.
Cette société, Vanguard, est aujourd’hui la deuxième au monde après BlackRock en termes d’actifs sous gestion et un leader reconnu dans le domaine des investissements passifs. L’approche indicielle repose sur un principe très simple, mais qui, lorsqu’il a été énoncé pour la première fois, s’est révélé révolutionnaire : les marchés ont tendance à être efficients et, pour un gestionnaire actif, aussi compétent soit-il, il est presque impossible de les battre systématiquement. D’autant plus que la performance d’un fonds actif est alourdie par une série de coûts (tels que ceux liés à l’analyse et à la sélection des titres) qu’un ETF passif, c’est-à-dire une copie conforme d’un indice de marché, n’a pas à supporter.
L’avantage indéniable de l’investissement indiciel réside dans ses coûts réduits et sa simplicité d’utilisation pour une stratégie classique de buy-and-hold (acheter et conserver dans son portefeuille sans vendre), même avec une approche « do-it-yourself ». En outre, les ETF, s’ils répliquent des indices larges et bien diversifiés, contribuent à atténuer le risque lié aux paris individuels sur des titres, des secteurs ou des zones géographiques.
5. Style « momentum »
Acheter ce qui monte pour revendre à un prix encore plus élevé. Le style « momentum » est considéré comme une approche adrénaline, capable de donner des satisfactions immédiates : c’est presque un point d’intersection entre un investissement à moyen-court terme et le trading le plus audacieux.
Le père spirituel du « momentum » n’est pas un investisseur professionnel, mais un journaliste : Charles Dow, cofondateur du Dow Jones et du Wall Street Journal, qui, dès le début du XXe siècle, a formulé une théorie selon laquelle le marché évolue en suivant des tendances. Si l’on est capable de saisir ces tendances, peut-être même sous forme graphique (ici l’embryon de l’analyse technique), on peut entrer sur les titres au bon moment et participer à leur hausse. Le style momentum n’a définitivement explosé que dans les années 80, lorsque Richard Driehaus, fondateur de la société de gestion du même nom, a inventé la devise « buy high, sell higher » : acheter à un prix élevé, vendre à un prix encore plus élevé. C’est encore aujourd’hui le mantra du style momentum.
Contrairement à une approche « growth », qui cherche à identifier les opportunités de croissance des bénéfices et des revenus à moyen et long terme, le momentum vise à capter la tendance ici et maintenant et à surfer sur la vague, exactement comme le fait un surfeur. Trouver le point d’entrée idéal est toutefois un travail qui nécessite de grandes compétences, et la volatilité de ce style est extrême.
6. Style « contrarian »
Dans un certain sens, une approche « contrarian » est l’exact opposé de l’approche « momentum » : si cette dernière consiste à acheter des titres qui affichent une nette tendance à la hausse, l’investisseur contrarian achète toujours « au moment où le pessimisme est à son comble ». C’est John Templeton, fondateur en 1954 du Templeton Growth Fund, qui a inventé cette devise dans les années 1930 : un fonds qui, en 38 ans, a enregistré un rendement annuel moyen de 15 %.
L’anecdote qui a rendu célèbre le style « contrarian » de Templeton remonte à 1939 : au début de la Seconde Guerre mondiale en Europe, ce jeune investisseur (né en 1912) du Tennessee a emprunté 100 dollars pour acheter 104 actions américaines à moins d’un dollar chacune, pariant qu’elles étaient excessivement sous-évaluées. En cinq ans, Templeton a quintuplé son capital investi.
Être « contrarian » est en réalité une extrémisation de l’approche value de Graham et Buffett : en effet, l’investisseur « contrarian » est un véritable investisseur value qui tire cependant sa force du fait d’aller à contre-courant du marché. Dans un marché haussier, l’approche « contrarian » conduit à être baissier et vice versa. De même, lorsque le marché est en hausse, l’investisseur « contrarian » ne recherche pas les titres et les secteurs qui se comportent le mieux, mais ceux qui se comportent le moins bien : par exemple, au cours de la période 2023-2024, il n’aurait pas misé sur la technologie, mais plutôt sur les services aux collectivités ou le secteur pharmaceutique.