
« Le moment de vérité »
Avec une dette publique atteignant cette année 116,2 % du PIB, l’exception française qui durait depuis le début des années 90 est terminée. Par opportunisme, la France a pu continuer à croître sans se soucier outre mesure ni de ses déficits budgétaires, ni de ses comptes extérieurs perpétuellement dans le rouge : à la fin de l’année dernière, sa position financière nette était déficitaire de 594 milliards d’euros. Une bagatelle, toutefois, par rapport aux 3 436 milliards accumulés par l’Allemagne depuis 2000, qui s’est mise à l’abri de la dévaluation compétitive.
Le document du Premier ministre Francois Bayrou présenté le mardi 15 juillet lors de l’évènement “Le moment de vérité“, François Bayrou a lancé ses arbitrages en s’appuyant sur deux tableaux :
- le premier montre que la France ne produit pas suffisamment, puisqu’en 2024, elle a encore enregistré un solde négatif de 102,7 milliards d’euros pour les marchandises, tandis que l’Allemagne et l’Italie ont confirmé une tendance positive avec respectivement 240,2 milliards et 59,92 milliards ;
- le second tableau montre la croissance inexorable de la dette publique, qui est passée de 109,8 % du PIB en 2023 à 113,2 % en 2024, pour atteindre cette année les 116,2 % mentionnés plus haut.
Sans corrections, ce ratio se détériorerait de près de dix points en seulement quatre ans, pour atteindre 125,3 % en 2029 : l’objectif de M. Bayrou est essentiellement de stabiliser le ratio, en le laissant augmenter jusqu’à 117,6 % en 2026, pour le maintenir à 117,2 % en 2029.
En visant un ratio déficit/PIB de 4,6 % en 2026, pour atteindre 3 % en 2029, Bayrou souhaite reprendre le contrôle du déficit budgétaire qui, en 2024, pour des raisons électorales, d’abord en raison du renouvellement du Parlement européen, puis en raison de la dissolution anticipée de l’Assemblée nationale, avait été laissé dériver à 6,1 %, contre 4,4 % initialement prévu par le gouvernement présidé par Gabriel Attal, dont Bruno Le Maire était le ministre de l’Économie et des Finances.
Depuis lors, les marchés financiers sont tendus et les rendements des OAT demandés par le marché ont augmenté, le spread sur les Bunds à 10 ans étant passé d’une moyenne historique d’environ 50 points de base à plus de 70 points de base aujourd’hui, convergeant vers les cotations des BTP qui ont vu, au contraire, le spread sur les Bunds se réduire progressivement, passant de plus de 140 points de base à l’été 2024 à 89 points aujourd’hui.
Aucune modification du budget de la Défense
Afin de réduire le déficit tendanciel de 43,8 milliards d’euros en 2026, Bayrou mise sur trois axes :
- limiter les dépenses publiques, en se concentrant principalement sur le secteur de la santé et de l’aide sociale et en responsabilisant les ministères et les collectivités locales dans l’effort de rationalisation ;
- geler pendant un an, qualifié d’« année blanche », les ajustements périodiques des salaires, des retraites et des déductions fiscales liés à l’inflation ;
- rationaliser le système fiscal sans forcer la main aux entreprises, qui bénéficieront au contraire d’un allègement substantiel des contraintes bureaucratiques.
Alors que les réductions des dépenses contribuent à la réduction du déficit de 20,8 milliards et que l’année « blanche » de 7,1 milliards, la contribution des recettes supplémentaires est très faible, étant donné que les 9,9 milliards de correction supplémentaire proviendraient des mesures visant à réduire la fraude et le gaspillage dans les dépenses de santé et d’aide sociale et de la suppression des niches fiscales.
Pas d’impôts, donc, ni sur les superprofits ni sur les super-riches : au contraire, les Français doivent travailler davantage, et pour cela, deux jours fériés seraient supprimés, le lundi de Pâques et le 8 mai, une fête correspondant à notre 25 avril.
Seul le budget de la Défense n’est pas soumis à des corrections, le président Emmanuel Macron ayant même envisagé de le doubler en 2027 par rapport à la dotation d’il y a dix ans : il s’agit d’un véritable revirement stratégique, étant donné qu’en 2017, Macron avait contraint le chef d’état-major de l’époque, le général Pierre de Villiers, à démissionner pour s’être exprimé lors d’une audition parlementaire contre la proposition du gouvernement de réduire de 850 millions d’euros les équipements nécessaires pour couvrir les coûts des opérations militaires françaises à l’étranger.
Des appels à de nouvelles élections anticipées
Malgré la dramatisation des perspectives, le monde politique ne semble pas du tout disposé à approuver le plan de redressement élaboré par Bayrou.
À droite, Marine Le Pen s’est déjà déclarée prête non seulement à voter une motion de censure contre le gouvernement en cas de forçage de l’examen au Parlement, mais aussi à affronter de nouvelles élections anticipées, en proposant tous les recours juridictionnels possibles contre la mesure provisoire d’inéligibilité qui lui a été infligée en première instance, dans le procès pour emploi illégitime, à des fins d’activité partisane, de certains assistants parlementaires engagés à Bruxelles.
L’ancien président de la République, François Hollande, au nom des socialistes, a fait remarquer que le projet de Bayrou n’était pas votable s’il n’était pas profondément modifié au préalable. Alors que les syndicats s’alarment des coupes dans les dépenses sociales, à gauche, Jean-Luc Mélenchon semble prêt à faire front commun avec les autres forces politiques qui souhaitent se débarrasser de Bayrou.
Le président Macron a quant à lui soutenu sans hésitation le plan du gouvernement. Souhaitant une attitude constructive de la part des partis, il a jugé que cette stratégie était solide, celle dont le pays a besoin, avec des réformes et des mesures de bon sens pour enrayer la dynamique de la dette publique, soutenir la croissance et réduire le déficit extérieur : des objectifs vraiment ambitieux.
Pour les Français, c’est un réveil brutal : et pour eux aussi, cette fois…la fête est finie.