Une fois de plus, la matraque de l’Autorité européenne antitrust s’abat sur une grande entreprise technologique. Cette semaine, la Commission européenne a infligé à Apple une amende de 1,8 milliard d’euros pour avoir abusé de sa position dominante dans les services de distribution de musique en streaming.

Cette décision fait suite à une plainte déposée par Spotify, qui reprochait à Apple d’empêcher les créateurs d’applications de streaming musical de fournir à leurs clients potentiels des informations sur des options moins chères en dehors de l’Apple Store. Ce n’est pas la première fois que des amendes d’un milliard de dollars sont imposées au niveau européen. En dix ans, Google a écopé de 8,25 milliards, dont une de 4,34 milliards en 2018, pour avoir exploité son système d’exploitation Android afin de consolider sa domination sur le marché de la recherche et de la publicité en ligne.

L’UE s’en prend aux gardiens

La sanction contre Apple coïncide également dans le temps avec la pleine application de la nouvelle loi européenne sur les marchés numériques (Digital Markets Act) qui complète et renforce les remèdes antitrust visant à freiner le pouvoir de marché des grandes plateformes. Les opérateurs soumis aux nouvelles règles (gatekeepers) ont été identifiés par la Commission européenne sur la base des critères indiqués dans le règlement (seuils de chiffre d’affaires, nombre d’utilisateurs).

Il s’agit de six grandes plateformes (Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance, Meta-Facebook, Microsoft) et de 22 types de services offerts (Facebook, Whatsapp, Youtube, Google Search, Tik Tok, etc.)

Les “gatekeepers” ont eu six mois pour se conformer au règlement, qui contient des obligations et des interdictions strictes. Par exemple, l’utilisation des données collectées à des fins publicitaires, l’abonnement automatique des utilisateurs à d’autres services de gatekeeper, la promotion de ses propres services au détriment de ceux des concurrents, la pré-installation d’applications sur les appareils ou l’imposition de méthodes de paiement sont interdits.

Il appartient à la Commission de contrôler le respect des règles. En cas d’infraction, elle peut imposer des sanctions allant jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires global (jusqu’à 20 % en cas de récidive). En cas de violations systématiques, la Commission peut imposer des obligations supplémentaires, y compris la cession d’activités et l’interdiction de fournir d’autres services. Le nouveau règlement est dynamique par nature et la Commission peut identifier des gardiens supplémentaires au fil du temps.

Une fonction antitrust importante

En fin de compte, le règlement européen s’inspire d’une logique pro-concurrentielle et de la promotion de l’innovation en activant une réglementation ex ante. Celle-ci complète les interventions ex post en application des règles antitrust prévues par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour contrer notamment les abus de position dominante.

Cela justifie une réglementation ex ante, qui a été mise en place parallèlement aux processus de libéralisation initiés par les réglementations européennes à la fin des années 1990. Tous les Etats membres ont mis en place des autorités de régulation sectorielles qui ont instauré des règles strictes, voire détaillées, pour les entreprises. Les pouvoirs de régulation et de sanction des nouvelles autorités n’éludent pas les pouvoirs des autorités antitrust européennes et nationales.

Le principe est que lorsque les instruments des autorités antitrust sont inefficaces, intervenant de manière sporadique, souvent tardive et avec de longues suites judiciaires, la mise en place d’une régulation ex ante est justifiée. Les grandes plateformes, qui se sont développées jusqu’à présent dans une absence quasi-totale de règles, devront s’habituer au nouveau contexte. Avec le risque d’encourir des sanctions maximales tant pour les infractions à la législation antitrust que pour la violation des règles ex ante.