Ce n’est pas une bonne phase pour les grandes entreprises technologiques, prises dans l’étau de la réglementation antitrust et européenne. Les actions contre Apple en particulier sont presque innombrables. La semaine dernière, le ministère américain de la justice a ouvert une enquête antitrust très ambitieuse. Il lui est reproché d’avoir abusé de sa position dominante sur le marché des smartphones au détriment de ses concurrents, des développeurs d’applications et, in fine, des consommateurs.

En Europe, il y a quelques jours, la Commission européenne a infligé à Apple une amende de 1,8 milliard d’euros pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de distribution de musique en streaming, à la suite d’une plainte déposée par Spotify. L’accusation porte sur le fait d’avoir empêché les fabricants d’applications de streaming musical de fournir à leurs clients potentiels des informations sur des options moins chères en dehors de l’Apple Store.

Mais Apple est aussi depuis longtemps dans le collimateur du gouvernement chinois, qui a interdit les iPhones à ses fonctionnaires, leur préférant la technologie de Huawei. Cela a entraîné une chute des ventes de téléphones portables d’environ 24 % au début de l’année.

L’enquête américaine : quelles hypothèses ?

Mais quel est l’intérêt de l’initiative du ministère de la Justice annoncée en grande pompe par le procureur général Merrick Garland et son adjointe Lina Khan, l’une des figures de proue aux États-Unis de la lutte contre les grandes entreprises technologiques ? Selon le procureur général, Apple, qui détient plus de 60 % du marché des smartphones, a conservé un pouvoir monopolistique non pas par simple mérite, mais en violation de la loi antitrust américaine.

Elle l’a fait en adoptant pas moins de six comportements d’exclusion et anticoncurrentiels décrits dans l’action civile. Apple impose notamment des restrictions contractuelles et des charges économiques qui limitent les caractéristiques et les fonctionnalités que les développeurs d’applications peuvent offrir aux utilisateurs de l’iPhone. Au cours des 15 dernières années, Apple a exigé une redevance de 30 % du prix de chaque application téléchargée à partir de son Apple Store.

En outre, elle oblige les propriétaires d’iPhone à utiliser leur portefeuille numérique, ce qui entrave l’utilisation d’autres méthodes de paiement numérique. Il en va de même pour ses propres smartwatches, les seules à pouvoir fonctionner correctement dans l’écosystème de l’iPhone, pénalisant ainsi les autres marques concurrentes.

Par ailleurs, Apple a réduit les fonctionnalités de son propre système de messagerie, tant pour les messages sortants des propriétaires d’iPhone que pour les messages entrants des utilisateurs d’appareils concurrents.

Un dangereux précédent serait créé

Les accusations du ministère de la justice ont été rejetées par un porte-parole d’Apple, qui a déclaré que l’entreprise, avec son écosystème fermé, vise à protéger la vie privée et la sécurité de ses utilisateurs. En outre, le fait de donner au gouvernement “le pouvoir d’intervenir lourdement dans la conception de la technologie” créerait un dangereux précédent. Une bataille juridique s’annonce donc dans cette affaire qui a également été lancée à la demande des ministères de la justice de pas moins de quinze États.

En fait, la jurisprudence qui s’est formée sur des cas similaires n’est pas entièrement favorable au ministère de la justice. En 2020, Epic Games, une société de divertissement interactif, a intenté sans succès une action contre Apple. Epic Games prétendait que cette dernière empêchait les développeurs d’applications de travailler avec l’écosystème Apple afin d’inciter ses clients à acheter ses produits. Or, selon le juge californien, la position dominante d’Apple repose sur la pleine satisfaction de ses clients, plutôt que sur l’effet de verrouillage, c’est-à-dire les obstacles qu’elle place sur le chemin de ses concurrents.

Depuis plus d’un siècle, les autorités antitrust américaines mènent des batailles épiques contre les grands monopoles. En 1911, la Cour suprême a même contraint la Standard Oil à se diviser par zones géographiques. Comme l’a fait remarquer Lina Khan, aussi puissante, célèbre et populaire soit-elle, “aucune entreprise n’est au-dessus de la loi”.