Les sanctions occidentales contre la Russie ne sont pas suffisantes. L’Economist et le Washington Post, citant divers économistes internationaux, lancent l’alerte. L’analyse est la même : l’économie de Moscou est malmenée par les coups portés par l’Europe, la Grande-Bretagne et les États-Unis, mais elle ne s’effondre pas comme prévu. L’effondrement total du PIB, en somme, ne se produira pas à court terme, tandis que les contre-effets sur le Vieux Continent risquent d’être très lourds.

Il s’agit de conséquences directes, comme la réduction des exportations et des importations, mais surtout indirectes, liées à l’approvisionnement en gaz. Il semble évident, en effet, que depuis le début de la guerre en Ukraine, Moscou utilise le méthane comme moyen de pression pour convaincre l’UE de lever les sanctions. Les craintes des marchés européens portent avant tout sur un possible arrêt total des approvisionnements, avec le géant Gazprom qui a déjà considérablement réduit les flux et qui, du 31 août au 2 septembre, fermera complètement le gazoduc Nord Stream 1 pour “maintenance”. Qui sait ce qui se passera ensuite.

Le PIB russe baisse moins que prévu

Jusqu’à présent, écrit explicitement l’Economist, la guerre des sanctions ne se déroule pas comme prévu. À la fin de l’année, on s’attendait à ce que le produit intérieur brut de la Russie chute de 15 %, alors que le Fonds monétaire international calcule maintenant une baisse beaucoup plus faible d’environ 6 %“.

Le système économique russe a fortement réduit ses échanges avec l’Occident, ce qui a entraîné de graves problèmes de résilience financière (notamment en ce qui concerne le paiement de la dette extérieure en dollars), mais il n’a pas fait faillite. Moscou a tenu bon grâce aux accords commerciaux simultanés avec la Chine, renforcés ces derniers mois, mais surtout grâce à la vente de biens énergétiques à des prix très élevés (le gaz dépasse désormais 300 euros par mégawattheure).

Cette année en effet, malgré la réduction des approvisionnements, entre le gaz et le pétrole, la Russie réalisera un excédent de 265 milliards de dollars, le deuxième plus important au monde après la Chine. En attendant, souligne The Economist, “en Europe, la crise énergétique pourrait déclencher une récession“.

De lourds contre-effets en Italie et en Allemagne

La perspective est concrète, avec les économistes du MEP qui, en cas d’arrêt total des approvisionnements en gaz de la Russie, calculent un impact très violent sur le PIB des pays de l’UE, qui atteindrait 2,5% pour l’Allemagne et l’Italie, les nations les plus exposées car les plus dépendantes des importations.

En Italie, donc, une intensification de la crise énergétique entraînerait la fermeture de 120 000 entreprises et la perte de 370 000 emplois, selon Confcommercio. Mais ce n’est pas tout, pour la Coldiretti, la traction sur le prix des denrées alimentaires pourrait amener 2,6 millions d’Italiens à risquer la faim et à devoir demander de l’aide pour manger.

Aujourd’hui déjà, cependant, nous connaissons, comme les autres pays de l’UE, une reprise moins forte de la période Covid que ce qui était prévu avant la guerre en Ukraine. L’Italie devrait connaître une croissance d’environ 3 % cette année, contre les 4,6 % calculés en décembre 2021, puis la récession pourrait survenir en 2023 (à l’heure actuelle, sans tenir compte des éventuels effets plus sévères de la crise énergétique et des politiques monétaires restrictives, la croissance est estimée à 1 %, soit trois fois moins que prévu il y a un an).

En Russie, une “récession technique”

Le journal britannique souligne que les autocraties comme Moscou sont “capables d’absorber le choc initial d’un embargo parce qu’elles peuvent contrôler leurs ressources“. La situation est différente pour les démocraties occidentales. Cependant, formellement, la Russie est en défaut de paiement.

Il ne s’agit que d’une récession “technique”, déclenchée à la fin du mois de juin, à la fin de la “période de grâce” pour les quelque 100 millions de dollars de dette extérieure impayée. L’état d’insolvabilité n’a donc pas été déclenché par un manque d’argent, mais par une incapacité à rembourser la dette, en raison des sanctions imposées principalement par les États-Unis, qui ont bloqué les paiements.

Le chômage en Russie n’augmente pas sensiblement

La chute initiale de la valeur du rouble, souligne le Washington Post, s’est toutefois rapidement inversée après que l’État a restreint les transactions en devises et que les importations de la Russie ont chuté, apaisant ainsi les craintes du public d’une crise monétaire. Le chômage n’a donc pas augmenté de façon notable“.

Dans des villes comme Moscou et Saint-Pétersbourg, on voit des restaurants et des bars bondés et des épiceries bien achalandées, bien que les prix aient fortement augmenté et que certains produits importés, comme le whisky, soient désormais difficiles à trouver.

Des sanctions contre la Russie sont-elles nécessaires ?

Mais alors, est-ce que ça ne va vraiment pas si mal en Russie et les sanctions sont-elles contre-productives ? Pas vraiment, car à moyen et long terme, l’économie de Moscou ne sera pas en mesure de résister à l’impact de ces sanctions, et la pression continue sur le gaz comme arme de chantage le prouve.

Ce qui rend les difficultés évidentes, ce sont certaines données économiques. La production de voitures a chuté de près de 62 % au cours du premier semestre de l’année, en raison d’une baisse drastique des importations de composants. Les ventes au détail ont chuté de 10 % au deuxième trimestre, par rapport à l’année précédente, les Russes ayant réduit leurs dépenses. La confiance des consommateurs est également à son plus bas niveau depuis 2015 et 78 % des Russes ne prévoient pas d’acheter.

Et encore : les compagnies aériennes ont réduit les vols internationaux à presque zéro et licencient les pilotes. Des milliers de personnes hautement qualifiées ont fui le pays, tandis que des centaines d’entreprises étrangères, dont Ikea et McDonald’s, ferment leurs portes. Enfin, le budget fédéral russe a montré des signes de souffrance en juillet.

En juillet, en effet, la Russie a fait état d’un déficit budgétaire de 900 milliards de roubles, alors que certaines sources de recettes fiscales ont diminué, soit un “écart énorme” de 8 % du PIB, selon Sergei Guriev, économiste à l’université Sciences Po de Paris. “L’écart technologique entre la Russie et les économies avancées va se creuser au fil du temps“, a écrit Ilya Matveev, un politologue de Saint-Pétersbourg, dans un article récent. Et ce, alors que la “forte récession économique” se poursuivra.

Le plafonnement mondial des prix du pétrole

Pour accélérer cette spirale descendante, dans l’espoir de mettre fin aux hostilités russes en Ukraine, le Washington Post explique que l’UE devrait “couper la principale bouée de sauvetage de Moscou : les revenus des exportations de pétrole et de gaz“. En bref : se causer plus de tort dans l’immédiat, mais mettre la Russie dans une crise telle qu’elle devrait revoir ses positions.

En attendant, la Maison Blanche, après l’arrêt du charbon russe, pousse à une action plus immédiate par le biais d’un plafonnement mondial des prix du pétrole de Moscou, ce qui obligerait le pays à vendre à des prix réduits par rapport aux prix actuels. Tout cela alors que les travaux se poursuivent au sein de l’UE pour parvenir à un plafonnement des prix du gaz.