Les grandes ambitions de l’UE en matière de développement durable, de compétitivité et d’innovation technologique risquent d’échouer avant même d’avoir pris leur envol. Le raisonnement qui sous-tend cette considération pessimiste est aussi banal que réaliste : l’UE n’a pas assez d’argent pour atteindre ses objectifs. Certains analystes ont proposé une réflexion intéressante et nécessaire : comment financer les investissements dont l’Union Euroopénne a besoin pour relever les défis de notre époque ?

L’Europe, quant à elle, subit la pression des États-Unis et de la Chine qui s’efforcent de soutenir les investissements dans la production nationale par des subventions généreuses et des allègements fiscaux, en particulier dans le domaine des énergies renouvelables et des technologies vertes. De plus, l’évolution imprévisible de la guerre en Ukraine, où Kiev menace de perdre et où la Russie effraie les pays d’Europe de l’Est les plus proches, convainc les gouvernements de l’UE qu’il faut augmenter les dépenses de défense.

Le dilemme se résume ainsi : une Europe compétitive et verte nécessitera des milliers de milliards d’euros investis sur plusieurs décennies. Et l’argent public sera nécessaire pour attirer les capitaux privés, selon le projet de conclusions du sommet vu par Politico. Toutefois, les gouvernements de l’UE hésitent à donner plus d’argent à Bruxelles, à s’endetter davantage ou à introduire de nouvelles taxes européennes.

Plans de l’UE et caisses vides

La récente révision à mi-parcours du budget de l’UE a révélé que l’Union manquait de liquidités après avoir dû faire face à une pandémie mondiale, à une guerre imminente, à des coûts énergétiques structurellement élevés et à une économie mondiale en perte de vitesse.

Le grand risque est que nous n’ayons pas assez d’argent pour la transition verte“, a avoué l’ancien premier ministre avant de rencontrer les dirigeants et de présenter un rapport sur la compétitivité de l’UE. Il a fait remarquer qu’il y avait peu de ressources pour le Green Deal de l’UE après que le plan de relance de 732 milliards d’euros de l’Union pour lutter contre la pandémie ait pris fin dans deux ans.

La Commission européenne, l’organe exécutif de l’UE à Bruxelles, estime également que d’ici 2030, l’Europe aura besoin de plus de 1,5 billion d’euros par an rien que pour éliminer les émissions de combustibles fossiles de ses systèmes d’énergie et de transport. En outre, le fonds pour les “technologies stratégiques”, conçu à l’origine comme un moteur de l’innovation en matière de technologies propres, a été réduit de 10 milliards d’euros à seulement 1,5 milliard d’euros.

Par ailleurs, l’Ukraine a désespérément besoin d’un soutien financier et militaire accru de la part de ses alliés occidentaux, alors qu’elle est confrontée à des difficultés sur le champ de bataille. Alors qu’un programme d’aide américain est bloqué au Congrès américain et que Donald Trump met une fois de plus en péril la garantie de sécurité des États-Unis, l’UE est poussée à renforcer sa défense.

Les envoyés nationaux à Bruxelles se demandent déjà combien de ressources ils peuvent prélever sur le Green Deal pour renforcer la politique de défense. La semaine dernière, la Banque européenne d’investissement a également annoncé aux ministres des finances qu’elle augmenterait et accélérerait ses prêts aux projets de défense.

La mission de l’UE est de trouver des fonds communs

Dans un contexte de finances publiques tendues et de manque d’intérêt pour une augmentation de la dette commune levée par l’UE dans son ensemble, ou pour un nouveau fonds de relance de type pandémie, M. Letta a fait valoir que seul un pilier d’argent privé pourrait convaincre les pays les plus économes de l’Union de soutenir davantage de fonds européens. Paris et d’autres capitales font pression pour relancer l’Union des marchés de capitaux, un plan décennal de la Commission européenne visant à utiliser l’épargne européenne pour stimuler l’investissement privé dans l’ensemble de l’Union. L’idée a eu du mal à être acceptée, mais elle continue d’émerger.

Le plan de compétitivité de M. Letta appelle également à une meilleure intégration des marchés financiers de l’Union, afin que les entreprises puissent lever des fonds pour de nouveaux projets d’énergie renouvelable auprès d’investisseurs en actions, en obligations et en capital-risque, au lieu de dépendre principalement des prêts bancaires. Il s’agit d’une idée de longue date qui n’a progressé que lentement. Les idées de M. Letta ne seront reprises qu’après les élections européennes de cette année et la nomination d’une nouvelle commission exécutive.

Il faut davantage d’investissements“, a déclaré Charles Michel, président du Conseil Européen, qui préside les sommets de l’UE. “Ce qui est crucial, c’est d’agir pour réaliser l’union des marchés de capitaux. Il faut également accroître la capacité de la Banque européenne d’investissement à investir dans les secteurs stratégiques“. La création de marchés financiers plus larges permettrait de canaliser les “milliards d’euros” des citoyens européens vers l’épargne afin d’investir dans des secteurs stratégiques au sein de l’Union.

Toutefois, il sera difficile de trouver un équilibre entre les besoins stratégiques de l’UE pour être compétitive et relever les défis d’aujourd’hui et les ressources nécessaires.