La nouvelle selon laquelle la Commission européenne, le Conseil et le Parlement (le “Trilogue”) s’apprêtent à mettre en place un dispositif de répression des portefeuilles suscite une certaine réflexion. L’objectif de freiner le blanchiment d’argent est sacro-saint, mais une clarification semble nécessaire : il s’agit en effet d’une technologie, celle des crypto-monnaies nées avec la blockchain du bitcoin, qui vise à s’affranchir du besoin d’intermédiaires de confiance pour la conservation de l’épargne, et il faut en tenir compte.

D’autre part, il existe d’innombrables cas dans lesquels les intermédiaires (tant dans la crypto finance que dans la finance traditionnelle) n’ont pas été dignes de la confiance que leur ont accordée les épargnants, et le fait de devoir y recourir constitue donc une négation substantielle (exclusivement dans les limites géographiques d’application) de l’une des principales raisons d’être de la crypto finance.

Une action difficile

On le sait, poser des limites géographiquement circonscrites à une infrastructure numérique, par nature sans frontières, risque d’être inefficace. Mais ce n’est pas tout. Car si l’UE imposait demain l’adoption exclusive de portefeuilles hébergés, elle devrait alors se rendre disponible pour indemniser les épargnants qui tomberaient par malchance sur des intermédiaires frauduleux. Puisqu’un épargnant avisé en matière de crypto-monnaies est obligé par la loi d’identifier un intermédiaire (ce qu’il éviterait de faire autrement), il ne peut pas être abandonné par la loi si ce dernier s’enfuit avec les fonds.

A ce stade, l’institutionnalisation éventuelle des intermédiaires imposerait un nécessaire réseau de surveillance de ceux-ci, comme c’est actuellement le cas pour la gestion traditionnelle.

Le tout constitue donc une inévitable inertie financière qui ne s’appliquerait qu’à l’intérieur des frontières de l’UE (en laissant de côté, par exemple, la Suisse voisine), puisque les crypto dans les portefeuilles ne sont physiquement nulle part.

Quid du troc et de l’argent liquide

C’est précisément l’indépendance vis-à-vis des intermédiaires qui est une caractéristique stratégique pour assurer l’émancipation financière dans ces territoires où, sinon, les non-bancarisés, comme les femmes en Iran et en Arabie saoudite ou des millions de personnes en Afrique, n’auraient pas accès aux outils numériques de gestion de fonds, même s’ils possèdent un smartphone. On se demande alors au nom de quel principe l’Union européenne interdirait l’achat d’un café à partir d’un portefeuille de crypto-monnaies mais accepterait que ce même café soit acheté en espèces : les dollars, les euros ou tout autre moyen de paiement réputé sans dette sont bien plus anonymes qu’une transaction sur blockchain.

Le code civil continue même de reconnaître le troc comme un échange, ce qui ne signifie pas évasion fiscale ou violation des règles anti-blanchiment, mais une liberté d’effectuer des transactions selon la méthode jugée la plus appropriée entre les parties contractantes. De plus, une transaction n’est rien d’autre que l’écriture d’une ligne sur une base de données : le fait que quelqu’un puisse y reconnaître une valeur est un phénomène purement social, à tel point que de nombreuses institutions affirment que ces informations, ou plutôt la faculté d’écrire sur des bases de données, n’ont aucune valeur.

Où est la liberté ?

Dans cette optique, la volonté du Trilogue d’empêcher l’écriture d’une chaîne si cette transaction est proposée sans l’aide d’un intermédiaire est pour le moins curieuse. En conclusion, en ce qui concerne la liberté individuelle de gérer son épargne, aux États-Unis, certains manifestent une perplexité (sûrement excessive) face à l’introduction de la monnaie numérique de la Banque centrale, mais si dans l’UE on interdit le droit d’effectuer des transactions à partir de portefeuilles autodétenus, la question se pose de savoir quelle est la terre qui garantit le mieux la liberté.

Tout faux pas ferait fuir les capitaux et les personnes qui n’ont d’autre choix que de ne pas passer par des intermédiaires. Fixer des enjeux réglementaires n’est pas le meilleur moyen de retrouver la confiance dans ces libertés qui devraient être garanties par les institutions elles-mêmes.