La surperformance des ETF
L’investissement indiciel et son impact
L’investissement indiciel a révolutionné le monde des marchés financiers. Contrairement à la gestion active, qui repose sur la sélection minutieuse des actions dans l’espoir de sur-performer le marché, l’investissement passif vise à reproduire la performance d’un indice donné. Cette approche a gagné en popularité en raison de ses frais réduits et de sa performance souvent supérieure.
Le mécanisme de l’investissement indiciel amplifie l’effet momentum, où les fonds doivent acheter des actions en hausse pour rester alignés avec l’indice. Cela peut entraîner une hausse continue des prix des actions en question. Par exemple, une grande partie des gains du S&P 500 en 2024 peut être attribuée à une seule action : NVIDIA. Ce phénomène crée une inertie sur les marchés boursiers, où les prix peuvent être gonflés au-delà de leurs valeurs intrinsèques en raison de la demande accrue des ETF.
La diminution des investisseurs actifs
Au fil des années, la proportion d’investisseurs actifs sur le marché américain a considérablement diminué. Selon une étude menée par Valentin Haddad, Paul Huebner, et Erik Loualiche, la part des investisseurs actifs est passée de 81,4 % en 2000 à 59,4 % en 2020. Cette baisse reflète le déplacement vers l’investissement passif, où une entreprise du S&P 500 a, en moyenne, 21,25 % de son flottant détenu par des fonds indiciels.
Cette tendance a même inquiété John Bogle, l’inventeur des fonds indiciels et fondateur de Vanguard Group. Il a mis en garde contre le contrôle croissant des grandes entreprises par une poignée d’investisseurs institutionnels géants, un scénario qui pourrait avoir des implications majeures sur la gouvernance d’entreprise et la régulation des marchés financiers.
Impact des ETF sur la formation des prix
La prédominance des ETF influence la formation des prix des actions de manière significative. Dans un marché dominé par les investisseurs actifs, les prix des actions seraient plus efficients, reflétant les analyses fondamentales des entreprises. En revanche, les ETF achètent des actions sans se soucier de la qualité intrinsèque des entreprises, ce qui peut créer un écart entre les valorisations de marché et les valorisations fondamentales.
Michael Burry, célèbre pour avoir anticipé la crise des subprimes en 2008, a comparé la croissance des ETF à la bulle des titres de créance garantis par des actifs synthétiques (CDO) avant la crise financière mondiale de 2008. Selon lui, les prix des actions sont déterminés par des flux massifs de capitaux plutôt que par une analyse fondamentale, ce qui pourrait être dangereux.
En 2024, des chercheurs des universités de Stockholm, UCLA, et du Minnesota ont démontré que l’élasticité des prix des actions sur le marché américain avait baissé de 11 % depuis 2004 en raison de la croissance exponentielle des fonds indiciels. Cela rend les marchés potentiellement moins efficients qu’auparavant.
Que se passerait-il en cas de crise ?
L’effet momentum en période de crise
Si les marchés devaient subir une baisse brutale, l’effet momentum des ETF pourrait aggraver la situation. Les fonds indiciels seraient contraints de vendre des actions pour maintenir les proportions dans les indices suivis, accentuant ainsi la chute des valorisations. Ce comportement pourrait ressembler à l’éclatement d’une bulle spéculative, comme celle des Dot-Com en 2000.
Il est important de noter que nous n’avons pas encore vécu de crise économique majeure où les ETF dominaient à ce point le marché des actions. Les conséquences potentielles d’une telle situation restent donc difficiles à prévoir.
Critiques des fonds indiciels
Les critiques des ETF rappellent celles qui visaient les fonds mutuels et actifs dans les années 1970. Chaque fois qu’un nouvel acteur modifie les dynamiques d’un marché existant, les acteurs en place s’inquiètent de la nouvelle concurrence. Les fonds indiciels ont surpassé la majorité des fonds actifs, dont les encours sous gestion et les commissions ont diminué au profit de nouveaux géants comme BlackRock, Vanguard et Amundi.
Les ETF sont également critiqués pour leur incapacité à investir dans les petites capitalisations en raison de contraintes de liquidité. Cependant, certains gestionnaires actifs spécialisés dans ce segment continuent de sur-performer, démontrant que l’investissement actif conserve une place sur le marché.
Le futur des fonds indiciels
Le marché des ETF est en pleine expansion. Rien qu’aux États-Unis, 496 nouveaux fonds indiciels ont été lancés en 2023, soit une hausse de 40 % par rapport à 2022. Les particuliers américains, avec 160,8 trillions de dollars d’actifs, privilégient les fonds indiciels pour leurs placements de retraite, notamment via les plans 401(k).
La question se pose de savoir si les ETF sont “Too big to fail“. Avec plus de 9 000 ETF aujourd’hui et plus de 9 000 milliards de dollars d’encours sous gestion, les ETF attirent autant les particuliers que les professionnels. Certaines banques centrales, comme celle du Japon, achètent des ETF depuis plus de 10 ans. Ce niveau d’investissement pourrait-il perturber les marchés et provoquer une crise financière mondiale ?
Faut-il craindre une bulle sur les ETF ?
Part réelle des ETF sur le marché
Malgré les craintes, l’investissement en ETF représente une part relativement modeste du marché. Environ 34 % des actions américaines sont détenues par des ménages, 11 % par des fonds de pension et de retraite, et 16 % par des investisseurs étrangers. Les ETF, avec les fonds communs de placement, ne détiennent que 28 % du marché américain. Parmi ces fonds, 50 % sont passifs, représentant donc seulement 14 % du marché américain.
Volumes d’échanges et volatilité
Les ETF ne représentent que 5 % des volumes d’échanges journaliers aux États-Unis et 2 % en Europe. Ces chiffres montrent que les ETF n’ont pas l’impact significatif sur la volatilité et la détermination des prix des actions. La dispersion des prix et la volatilité des marchés restent influencées principalement par les mouvements d’optimisme et de pessimisme des investisseurs, plutôt que par le développement des ETF.
Le risque de vente massive
En cas de vente massive des ETF, les marchés pourraient effectivement subir une chute importante. Cependant, les ETF sont généralement détenus par des investisseurs long terme, ce qui réduit leur impact sur les baisses de marché. En réalité, les ETF ne sont pas plus responsables des chutes de marché que les autres moyens d’investissement.
L’avis de Bertrand
Les ETF ont transformé les dynamiques des marchés financiers en offrant une alternative passive à la gestion active. Bien qu’ils présentent certains risques, notamment en période de crise, leur part relative sur le marché reste modeste. Les craintes d’une bulle ETF semblent exagérées, car ils n’ont pas l’impact significatif que l’on pourrait croire sur la volatilité et la formation des prix des actions. Les ETF continueront probablement à croître et à jouer un rôle important dans le paysage financier, mais il est peu probable qu’ils soient à l’origine de la prochaine crise financière mondiale.