L’Europe est sous pression en matière de dépenses militaires : l’augmentation des moyens de défense devient une priorité avec l’enlisement de la guerre en Ukraine et l’approche américaine vers un plus grand désengagement, mais à quel prix ?

Les analystes et observateurs économiques se posent cette question, conscients que renforcer le poids des pays de l’UE dans l’OTAN en atteignant la part de 2% du PIB pour les contributions de défense au sein de l’organisation est un engagement complexe pour de nombreux gouvernements. Le coût du renforcement de la stratégie de défense, avec des investissements plus importants pour moderniser les armées, les armements et les systèmes de sécurité de pointe, pourrait être élevé et se faire au détriment de postes budgétaires importants (comme la sécurité sociale).

En outre, l’UE ne dispose pas d’une défense institutionnelle commune et sa mise en place n’est ni simple ni immédiate. Reprenant certaines idées des experts de l’Ispi et de The Economist, l’Europe court au moins trois risques économiques en cherchant à augmenter ses dépenses militaires.

L’Europe “sans défense” : quelles sont les dépenses militaires actuelles ?

“La liberté n’est pas gratuite” comme le dit un slogan inventé aux États-Unis à l’époque de la guerre de Corée. Si nous comprenons la liberté comme un objectif atteint par la guerre, elle coûte en termes de vies humaines, de destruction matérielle et sociale, mais aussi en termes de ressources employées dans les armes, les munitions, les armées et les moyens de toutes tailles.

Le conflit en Ukraine provoqué par l’agression russe il y a deux ans a ravivé le cauchemar d’une guerre sur le vieux continent après des décennies de paix et de construction de la démocratie (avec l’UE comme l’un des résultats du retournement de situation depuis la Seconde Guerre mondiale).

Dans ce contexte, la course aux armements est devenue une question prioritaire dans l’agenda politique des gouvernements. Tout d’abord, et de manière surprenante, en Allemagne, qui a créé un fonds de 100 milliards d’euros pour renforcer ses forces armées et qui vise à atteindre immédiatement l’objectif de l’OTAN de consacrer au moins 2 % du PIB à la défense.

D’ici la fin de l’année, 18 des 31 pays de l’OTAN (ils n’étaient que cinq il y a quelques années) atteindront l’objectif de 2 % du PIB en dépenses de défense fixé en 2014, au lendemain de la première invasion. L’Allemagne y parviendra également pour la première fois (principalement grâce au “fonds spécial” de 100 milliards d’euros sur quatre ans créé immédiatement après l’attaque russe sur Kiev), et 2 % sera également la moyenne générale parmi tous les alliés (parmi les plus importants, seuls l’Italie et le Canada restent en dessous).

Et puis, les pays européens de l’OTAN (incluant donc la Grande-Bretagne, la Turquie et la Norvège) sont passés d’une dépense agrégée de 230 milliards d’euros en 2014 à un total de 380 d’ici 2024, tandis que pour les seuls pays de l’UE – selon les données de l’Agence Européenne de Défense (AED) – la croissance par rapport à il y a 10 ans est de 40 %.

Un changement de rythme évident, donc, en Europe. Dans ce nouveau contexte, l’UE se prépare à mettre en commun des ressources pour augmenter les dépenses de l’industrie de la défense de manière communautaire (il ne peut y avoir de budget militaire commun). Cependant, la manière de trouver des fonds supplémentaires reste à déterminer. Les risques d’un séisme économique et budgétaire sont au moins au nombre de trois et sonnent comme un avertissement pour l’équilibre socio-économique et politique de l’Union.

L’augmentation des dépenses militaires est-elle possible ou est-ce un pari intenable ?

Le déséquilibre budgétaire

Comment les pays feront-ils face à des engagements plus ambitieux ? Les pays qui n’atteignent pas actuellement l’objectif de 2% fixé par l’OTAN, dont la Belgique et l’Espagne, ainsi que la France et l’Allemagne, ont déjà tendance à avoir des impôts plus élevés. Ils devront donc redéfinir leurs priorités et transférer leurs dépenses, par exemple, de la santé et de la protection sociale vers la défense.

Selon les analystes, pour consacrer 3 % du PIB à la défense, les dépenses dans tous les autres domaines devront diminuer de 3 % en Allemagne et en Italie, et de 2 % au Royaume-Uni et en France. L’analyse suggère que les électeurs pourraient s’opposer à la réduction de leurs pensions pour acheter plus de chars d’assaut.01

S’endetter davantage ?

Une autre option consiste à s’endetter. Bien que peu d’économistes préconisent normalement le financement des forces armées par l’endettement, étant donné qu’il s’agit précisément du type de dépenses régulières pour lesquelles les impôts sont conçus, le choc actuel pourrait justifier des déficits plus élevés.

En théorie, l’emprunt ne devrait pas poser de problème dans des pays peu endettés comme l’Allemagne et les Pays-Bas. Mais il y a des obstacles. Les pourparlers sur un gouvernement de coalition néerlandais viennent d’échouer en raison de divergences sur les dépenses. Les réformateurs allemands se débattent avec un frein constitutionnel à l’endettement qui a provoqué une crise budgétaire.

Enfin, il ne serait pas judicieux de continuer à emprunter dans une grande partie de l’Europe du Sud, notamment en Italie et en Espagne, qui ont toutes deux dépensé davantage en paiements d’intérêts l’année dernière que leurs forces armées.

Financement par l’UE

Une dernière option pour augmenter les dépenses militaires européennes est le financement par l’UE. Kaja Kallas, premier ministre estonien, estime que l’Union devrait établir un budget de défense financé par la dette, à l’instar du Fonds de relance de la lutte contre la pandémie.

La logique qui sous-tendait ce fonds – à savoir des dépenses communes de l’UE en échange de réformes mutuellement bénéfiques – s’appliquerait apparemment aussi aujourd’hui, peut-être avec des réformes concernant cette fois les marchés publics de la défense. Mais il y a un problème. Pour l’instant, les ministres des finances du nord et du sud de l’Europe n’ont pas encore réussi à se convaincre de l’utilité d’un fonds qui bénéficierait principalement à l’Est. La triste vérité est qu’il faudra peut-être un nouveau choc pour les pousser à agir, selon l’analyse de The Economist.

Ce qui est certain, c’est que la pression exercée sur l’Europe, en tant qu’UE et en tant que nations individuelles, pour qu’elle augmente ses dépenses de défense a une signification politique. L’Europe et le monde que nous voulons dans un avenir proche se mesurent aussi à la course aux armements qui ” érode ” les budgets, au détriment d’autres investissements (dans la protection sociale, la transition écologique, l’éducation, l’emploi).