À l’heure où les risques géopolitiques se multiplient, la tentation de céder au pessimisme est forte pour les investisseurs. Les risques politiques sont élevés et les enjeux sont importants. Cependant, les développements géopolitiques ne doivent pas être considérés uniquement sous l’angle de l’atténuation des risques.

Il y a aussi des opportunités à identifier. La reconfiguration de la dynamique mondiale renforce également les perspectives de certaines nations et de certains secteurs. Cette dynamique ne se limite pas à certains pays du Sud, mais concerne également l’Occident. Si 2024 devrait être une année de tensions accrues entre les États et de montée du protectionnisme, les pays au centre des nouvelles routes d’approvisionnement en bénéficieront, de même que ceux riches en ressources naturelles.

Entre les deux puissances, l’Europe

S’il est clair qu’elle sera confrontée à de nombreux vents contraires liés aux changements géopolitiques, l’Europe bénéficiera également du fait d’être au carrefour des tensions entre les États-Unis et la Chine. Malgré la rhétorique faucon, nous pourrions assister à une augmentation des investissements chinois en Europe, car celle-ci offre à Pékin un environnement d’investissement relativement meilleur que celui des États-Unis.

En outre, l’UE ne s’alignera pas complètement sur la position américaine à l’égard de la Chine. Les enjeux pour son économie sont trop importants. La loi sur la réduction de l’inflation a également accru la concurrence commerciale entre les États-Unis et l’UE dans divers secteurs.

Depuis 2016, les données montrent clairement que la Chine est sur la voie d’un relâchement de ses liens avec les États-Unis. Bien qu’il n’y ait pas encore eu d’augmentation significative des investissements chinois en Europe, principalement en raison des effets prolongés de la politique chinoise du “zéro Covid”, la situation commence à changer.

Les investissements chinois en Europe augmentent, en particulier dans des secteurs stratégiques tels que la production de batteries et les véhicules électriques. Pour la première fois en 20 ans, les investissements chinois en Europe, dits “greenfield”, ont dépassé les millions et demi d’euros, atteignant 4,5 milliards d’euros (soit plus de la moitié de ses investissements totaux).

Les entreprises chinoises, en partie à cause des pressions politiques croissantes en faveur de l’importation de véhicules électriques chinois, commencent à investir dans la localisation de la production en Europe afin de profiter de la croissance rapide de marchés qui n’en sont encore qu’à leurs débuts et d’éviter que les politiciens ne rendent l’accès aux marchés européens plus difficile.

Plus de travail dans l’UE

Bien que les motivations de la Chine soient certainement d’ordre économique, cela conduit en fin de compte à la création de nouveaux emplois dans le secteur manufacturier en Europe et permettra à l’UE d’accélérer la transition écologique en fournissant des batteries moins chères et des véhicules électriques plus rapidement.

Le fait de disposer d’une partie de la chaîne de production permet également aux pays européens de mieux la contrôler. En ce qui concerne le Sud, un large groupe de gagnants émerge en raison des changements géopolitiques en cours. Certains pays profitent de la nécessité de se diversifier par rapport à la Chine et à la Russie, mais d’autres profitent également du fait que la Chine doit se diversifier par rapport aux États-Unis. Il s’agit de pays situés au centre des nouvelles routes de la chaîne d’approvisionnement, mais aussi de pays riches en ressources naturelles.

L’évolution de l’échiquier

La Malaisie et le Vietnam émergent comme des ports d’escale importants pour la réorientation du transport maritime, tandis que le secteur automobile marocain a bénéficié de la diversification liée à la guerre en Ukraine. La Chine investit au Maroc et au Mexique pour mieux servir les marchés occidentaux. Le Japon et la Corée du Sud, en raison de leur proximité géographique avec la Chine et de leurs secteurs technologiques de pointe, bénéficient également de certains désinvestissements de la part de la Chine.

Les pays riches en ressources naturelles tirent le meilleur parti de la situation, non seulement en essayant d’augmenter leurs exportations et de trouver de nouvelles destinations, mais aussi en renforçant leur position dans la chaîne de valeur, passant du statut d’exportateurs de matières premières à celui de producteurs de biens intermédiaires.

Par exemple, l’Indonésie a interdit les exportations de nickel brut, invitant les acheteurs étrangers à investir dans des fonderies locales pour traiter les matériaux avant l’exportation. Des mesures similaires sont envisagées pour la bauxite et le cobalt. L’objectif est de positionner le pays quelques échelons plus haut dans la chaîne de valeur.

Il y a ensuite les pays qui accroissent leur influence au niveau mondial, s’imposant comme de nouveaux pôles dans un monde de plus en plus multipolaire. Par exemple, l’Inde bénéficie d’une multitude de nouveaux accords avec les États-Unis dans les domaines de la technologie et de l’énergie verte, sachant pertinemment qu’en tant que nouveau partenaire prioritaire des États-Unis en Asie, elle peut demander beaucoup.

En résumé, le réalignement géopolitique comporte des risques, mais il n’a pas que des inconvénients. En tant qu’investisseurs, nous devons identifier et savoir saisir les aspects positifs de la géopolitique.