Parce qu’il y a encore quelques semaines, l’opinion la plus répandue parmi les experts et les médias considérait l’avenir de l’économie comme sûr malgré la hausse des taux d’intérêt, une opinion qui a supplanté le consensus de la fin de l’année dernière qui prévoyait une forme légère de récession. Il y a donc un problème. Il est devenu extrêmement difficile de prévoir l’économie mondiale aujourd’hui. Il suffit de changer de perspective, de se déplacer d’un pas, et tout semble différent.

C’est comme lorsque nous regardons la Joconde, une comparaison pertinente que nous avons lue dans The Economist. On a beau regarder le chef-d’œuvre de Léonard de Vinci, on n’arrive pas à savoir si la femme sourit ou non. Quel que soit le nombre d’indicateurs et d’études de données historiques, nous ne pouvons pas définir le destin de l’économie dans l’ère post-pandémique. Mais peut-on vraiment s’arrêter là, renoncer à étudier les dynamiques économiques au gré d’une tempête de données et de statistiques incohérentes et discordantes ?

À la recherche du destin de l’économie mondiale

Il a rarement été aussi difficile de faire des prévisions économiques par le passé. L’incertitude et la confusion règnent. Il ne s’agit pas de spéculation. Ce sont les acteurs directs du grand spectacle économique qui l’admettent.

Lors de la dernière réunion de la BCE, sa présidente Christine Lagarde a précisé qu'”il n’est pas possible de déterminer à ce stade quelle sera la trajectoire“. Le marché n’a pas pu se mettre d’accord sur ce qu’il fallait attendre de la réunion de la Réserve fédérale, la banque centrale américaine, quelques semaines seulement après les fameux krachs bancaires américains. Dans les dernières perspectives publiées par le Fonds monétaire international, le mot “incertitude” apparaît plus de 60 fois, soit deux fois plus que dans les versions d’avril et d’octobre 2022.

Rien n’a changé en apparence, mais tout a changé. Bien que les principales données macroéconomiques soient toujours les mêmes – PIB, inflation et emploi en premier lieu – et que les instituts statistiques nationaux et supranationaux continuent de faire leur travail en actualisant les données mois après mois, il n’y a pas de ligne claire à suivre et à interpréter.

Comme le rappelle The Economist, le nombre de révisions du PIB de la zone euro est quatre fois supérieur à la moyenne historique mais aussi :

  • en Australie, en mars, l’office national des statistiques a réduit de moitié ses prévisions de productivité pour le troisième trimestre de l’année dernière ;
  • au Royaume-Uni, il a prédit que les investissements réels des entreprises allaient chuter de 8 %, pour se rétracter quelques mois plus tard et dire qu’ils se situaient aux mêmes niveaux qu’à l’époque prépandémique.

Pourquoi en 2023, ne pouvons-nous plus prédire l’avenir de l’économie ?

Cette incertitude qui caractérise le monde statistique, avec pour conséquence l’impossibilité de faire des prévisions, s’explique par trois raisons principales :

1. Une saisonnalité défaillante

La volatilité qui a affecté l’économie mondiale n’est pas seulement le résultat de la guerre entre la Russie et l’Ukraine et de son impact sur les chaînes de production, de la crise énergétique et des difficultés du secteur bancaire. Mais aussi de la discontinuité qui a caractérisé les trois dernières années, modifiant la saisonnalité et les séries de données historiques.

Si l’année 2020 a été marquée par des effondrements monstrueux au niveau macroéconomique, les réouvertures ultérieures, les nouveaux blocages, les redémarrages à contretemps, etc. ont enregistré des pics de reprise économique difficiles à harmoniser et à ajuster au niveau saisonnier.

2. Une frustration générale

Comme le rappelle le célèbre journal, il existe une disparité entre les données “dures” et “molles”, c’est-à-dire entre les données principales qui reflètent le mieux les performances d’une économie (par exemple, le chômage) et les données plus subjectives (par exemple, les attentes des personnes interrogées, comme dans le cas des indices PMI de l’industrie manufacturière et des services, qui sont notés en fonction des opinions d’un panel de directeurs d’achat).

Dans un contexte normal, ou plutôt “historique”, les “soft data” et les “hard data” ont toujours évolué en harmonie, dans la même direction. Aujourd’hui, cependant, elles sont très éloignées l’une de l’autre. Les données non contraignantes parlent de récession, les données contraignantes parlent de croissance. Cette disparité s’explique, du moins en partie, par la frustration des chefs d’entreprise et de la population dans son ensemble face à l’inflation – en Occident, les prix continuent d’augmenter de 9 % par rapport à l’année dernière.

3. Les échantillons statistiques

Les gens ne veulent plus répondre aux enquêtes officielles pour collecter des données, une tendance qui s’est exacerbée dans l’ère post-pandémique. Aux États-Unis, le taux de réponse des entreprises contactées pour connaître le nombre d’emplois vacants dans le pays est passé de 60 % avant la pandémie à environ 30 %. Le même problème se pose au Royaume-Uni : le taux de réponse aux enquêtes conçues pour donner un aperçu des tendances du marché du travail britannique a diminué de moitié depuis 2019.

Les raisons vont d’une plus grande méfiance à l’égard des gouvernements et des institutions à la fermeture de nombreuses entreprises pendant le lockdown, qui a alors redessiné la façon de travailler et probablement fait perdre aux gens l’habitude de remplir des questionnaires. La baisse de la participation aux enquêtes entraîne inévitablement une plus grande volatilité et une plus grande exposition aux biais.

Les biais statistiques sont appelés à diminuer au fur et à mesure que les effets de la pandémie deviennent moins sensibles, de même que la volatilité et l’inflation devraient diminuer à long terme, autant de dynamiques qui rendront les données beaucoup plus fiables. Une maigre consolation pour toutes les entreprises – comme pour les gouvernements – qui fondent leur travail, et leur avenir, sur des projections économiques.