L’Europe regorge de contes de fées qui, à l’aide de leur baguette magique, transforment d’affreuses créatures en de beaux et dociles destriers. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que l’une de ces puissantes fées séjourne à Bruxelles où elle exerce sa magie pour dompter les forces du mal. Elle s’appelle Marghrete Vestager.

Danoise, belle et forte d’esprit, la commissaire européenne à la Concurrence a gagné l’admiration du monde entier lorsqu’elle a transformé la lourde machine d’application de la législation antitrust en un cheval agile capable de tenir à distance rien de moins que les super-plateformes numériques grâce à la loi sur les marchés numériques (Digital Markets Act).

La charge de la preuve sur les grandes plateformes

Le coup de génie a consisté à inverser la charge de la preuve : c’est aux plateformes de prouver qu’elles ne méritent pas d’être notifiées en tant que “gatekeepers”, avec toutes les obligations qui en découlent. Celles-ci sont lourdes et pénétrantes car, en substance, tout le catalogue de la sagesse antitrust et des précédents a été versé dans le règlement, permettant à la Commission d’ouvrir des enquêtes agiles (bien différentes des très longues procédures ex post) pour sanctionner les “gatekeepers” récalcitrants.

L’article 5 du règlement sur les “obligations des garde-barrières” n’est rien d’autre qu’un bréviaire du droit de la concurrence, qui a été ponctué ces dernières années par les très vastes enquêtes promues avec beaucoup d’énergie et de détermination par Mme Vestager elle-même. En bref, les plateformes ne doivent pas favoriser leurs propres services et discriminer ceux qui sont contraints, en raison de leur inévitable pouvoir stratégique, de recourir aux étapes obligatoires gardées par ces “gatekeepers”. Les cibles inévitables des premières enquêtes sont les habituelles : Google, Apple et Meta.

Tirs croisés avec les États-Unis

Cependant, le timing ne nous échappe pas. De l’autre côté de l’Atlantique, les autorités fédérales et les procureurs des États se démènent, il faut bien le dire, devant les redoutables juges pour tenter de clouer au pilori des potentats qui, aux États-Unis, jouissaient jusqu’à hier de la licence la plus large.

Il n’échappe pas que la bouffée d’air frais provenant d’initiatives parallèles de la Commission Européenne peut donner un coup de pouce supplémentaire aux procureurs de Washington, qui en ont désespérément besoin aussi parce que les élections présidentielles se profilent et que tout le monde se souvient des quatre années d’apathie totale qui ont marqué l’ère Trump.

Une autre considération doit être ajoutée. L’activisme de Mme Vestager constitue une promesse tenue puisque Bruxelles avait annoncé haut et fort qu’elle affirmerait sa souveraineté numérique sur les Compagnies des Indes de notre temps. Elle a tenu parole. Reste à savoir si des satisfactions (concrètes) seront obtenues de l’autre côté de l’Atlantique dans ce domaine…