Il ne s’agit pas seulement de films. Les entreprises américaines envoient toutes sortes de travaux à l’étranger, attirées par les plus bas salaires britanniques, les incitations fiscales et la faiblesse de la monnaie. Il ne s’agit pas du modèle d’externalisation traditionnel des années 2000, qui a vu la délocalisation massive des emplois manufacturiers américains vers la Chine ou des centres d’appel vers l’Inde et d’autres régions du monde en développement.
En revanche, l’avantage du Royaume-Uni en termes de coûts a coïncidé avec l’essor du télétravail, ce qui permet à des emplois hautement qualifiés – développeurs de logiciels, consultants, avocats, producteurs de films – d’être désormais occupés par des Britanniques.
“Dans les anciens modèles d’externalisation, vous sous-traitiez le travail ennuyeux à la société d’externalisation. Mais il existe un nouveau type d’externalisation, moins coûteux et souvent créatif“, explique Matt Buckland, qui a passé deux décennies au Royaume-Uni en tant que recruteur dans le domaine des technologies pour des entreprises telles que Facebook. “Vous pouvez toujours donner à votre équipe d’Hyderabad un code Python de base. Au Royaume-Uni, vous pouvez leur donner de l’intelligence artificielle“.
Le coût de la vie au Royaume-Uni
La hausse des salaires et la pénurie de personnel aux États-Unis sont autant d’incitations à se tourner vers l’étranger. Selon les données de l’agence de recrutement Robert Half, le salaire brut moyen d’un développeur de logiciels back-end aux États-Unis est d’environ 130 000 dollars, bien qu’il avoisine les 175 000 dollars dans des villes telles que San Francisco et New York. Au Royaume-Uni, le salaire moyen d’un développeur est d’environ 66 000 dollars.
Le coût de la vie n’explique qu’en partie cet écart. Selon les données de Robert Half, les développeurs de logiciels de Cleveland, l’une des grandes villes les plus pauvres des États-Unis, peuvent gagner environ 40 000 dollars de plus que leurs collègues londoniens. Les postes dans les domaines de la finance, de la comptabilité et du marketing affichent des écarts de rémunération transatlantiques similaires.
“La vigueur de l’économie américaine au cours des 15 dernières années a fait grimper les salaires et rendu l’externalisation plus attrayante“, explique Nick Bloom, professeur d’économie à l’université de Stanford et spécialiste de l’externalisation. “Si vous êtes basé à New York ou à San Francisco, il sera désormais moins cher de délocaliser dans le nord de l’Angleterre plutôt que dans le Mississippi ou l’Alabama.
JPMorgan Chase affirme être le plus grand employeur technologique en Écosse et a récemment construit un nouveau hub à Glasgow pour accueillir des milliers d’employés travaillant sur des technologies telles que l’apprentissage automatique. Le géant de la gestion de patrimoine BlackRock est en train d’agrandir ses bureaux dans la capitale écossaise, Édimbourg, pour y installer des équipes de soutien technologique et un laboratoire d’intelligence artificielle.
Danny Lopez, directeur général de l’entreprise de logiciels de cybersécurité Glasswall, a déclaré que la quasi-totalité de ses ingénieurs logiciels résidaient au Royaume-Uni, bien que 90 % des revenus de l’entreprise proviennent des États-Unis. “Il est exponentiellement plus coûteux d’embaucher aux États-Unis“, a déclaré M. Lopez. “Il serait irréaliste de recruter 50 ingénieurs aux États-Unis. Pour une entreprise de notre taille, l’impact financier serait énorme“.
L’économie post-Brexit
Pour l’économie britannique stagnante après le Brexit, l’augmentation de la demande de services est une rare lueur d’espoir. La décision prise en 2016 de quitter l’Union européenne a eu un impact sur la croissance de l’emploi, la productivité et le commerce, et a contribué à générer le taux d’inflation le plus élevé du monde développé.
L’économie américaine, en revanche, a connu un boom après la pandémie. Le commerce avec l’UE étant en perte de vitesse, les entreprises britanniques voient dans les États-Unis l’occasion de vendre leurs services à un marché plusieurs fois plus grand que le leur, souvent à des taux plus élevés.
Selon la Deutsche Bank, les exportations de services vers les États-Unis rapporteront au Royaume-Uni près de 90 milliards de dollars en septembre 2023, ce qui contribuera à compenser le flux d’argent sortant de l’économie en raison de l’important déficit commercial des marchandises. Les consultants en gestion, les sociétés de services financiers et les compagnies d’assurance britanniques ont augmenté leurs exportations de plusieurs milliards de livres par rapport à la période précédant la pandémie.
Baringa, une société de conseil basée au Royaume-Uni, a créé une division en 2016 pour soutenir les clients britanniques qui servent de grandes entreprises américaines. “Les États-Unis sont une économie très intéressante pour nous, car il s’agit du plus grand marché de conseil au monde“, a déclaré Adrian Bettridge, associé directeur de Baringa. “Au Royaume-Uni, nous pouvons développer une grande expertise sur des questions telles que les paiements, le changement climatique, la modélisation des risques, et la partager avec un marché 20 à 30 fois plus grand que le nôtre“.
Selon Shreyas Gopal, stratège à la Deutsche Bank, la chute brutale de la valeur de la livre a joué un rôle crucial dans le fait qu’il est moins coûteux d’investir dans des entreprises britanniques. La livre a perdu 15 % de sa valeur par rapport au dollar depuis le référendum sur le Brexit en 2016.
Certes, les salaires britanniques ont également augmenté en raison de l’inflation galopante et des pénuries chroniques de main-d’œuvre, mais à partir d’une base moins élevée.
Edward East dirige une société de marketing d’influence, Billion Dollar Boy, qui emploie plus de 150 personnes réparties entre des bureaux à Londres, à New York et à la Nouvelle-Orléans, et qui compte parmi ses clients Amazon.com, Meta Platforms et L’Oréal. Le chiffre d’affaires de l’entreprise aux États-Unis a augmenté de 88 % au cours du dernier exercice et représente désormais près de la moitié de son total. Ses contrats aux États-Unis sont en moyenne six fois plus importants que ceux du Royaume-Uni.
“Malgré l’essor des activités américaines, l’entreprise continue de se concentrer sur l’embauche au Royaume-Uni, où les coûts de main-d’œuvre sont environ deux fois moins élevés qu’à New York. Cela nous permet d’offrir à nos clients une solution plus rentable que celle de nos collègues américains“, a-t-il déclaré. Le coût n’est qu’un des nombreux facteurs qui rendent le Royaume-Uni attrayant en tant que plaque tournante de la délocalisation. Selon les entrepreneurs, le fuseau horaire, la langue commune et un système éducatif similaire sont d’autres avantages.
